De quelques formules courantes en pratique au sens malléable

1. Tout un chacun a probablement été invité à apposer avec sa signature la formule «Lu et approuvé» ou « Bon pour ». Eh bien des époux qui sont appelés à consentir à cautionner les engagements de leur conjoint acceptent de préciser que leur accord vaut pour toute dette du conjoint « à quel que titre que ce soit et pour quelque cause que ce soit ».

Pour chacun de ceux qui ont souscrit l’une de ces formules, et pour ceux qui ont demandé leur mention dans l’acte, il s’agit de confirmer, voire d’inscrire dans le marbre, leur engagement.

2. A travers le prisme des juges, il n’en n’est pas de plein droit ainsi.
La première surprise est que
«Lu et approuvé» ou «Bon pour» ne sont pas indispensables dans le sens où communément on les comprend. Un arrêt qui avait jugé que «seule l’inscription usuelle «lu et approuvé» peut signifier sans équivoque l’approbation du signataire» a été catégoriquement censuré au motif que «la mention «lu et approuvé» inscrite au bas d’un écrit sous seing privé constitue une formalité dépourvue de toute portée» (Cass. 1e civ. 27-1-1993 : RJDA 4/93 n° 367) et un autre a précisé que la mention «lu et approuvé» ne suffisait pas à répondre aux exigences requises par l’ex-article 1326 (devenu 1376 ) du Code civil sur la mention manuscrite ( Cass. 1 e civ. 28-10-1991, JCP N 1993.II.139, 1 e espèce, note D). Réciproquement, le défaut de la mention «lu et approuvé» précédent la signature n’est pas retenu comme un indice prouvant le défaut de consentement à l’acte en cause (Cass. 2e civ. 17-1-2019 n° 18-11.061 D). Il a été également précisé que la la mention « Bon pour » n’était pas requise pour la validité d’une transaction (Cass. soc. 19-3-1991, n° 1077 D : RJDA 7/91 n° 654). Aucun mot ne’en

3. Il n’empêche qu’il n’est pas indifférent de porter ces formules sur un acte, car il peut leur être donné un sens auquel ni leur souscripteur ni leur bénéficiaire n’ont pensé leur donner. On relève, en effet, que « lu et approuvé », parfois doublé du « Bon pour » :

  • peut signifier seulement lu et pas négocié, conférant ainsi à l’acte la qualité de contrat d’adhésion (en ce sens, Barrillon : JCP G no 27-754) ;

  • ne peut suppléer l’absence des formalités requises pour la validité d’un engagement unilatéral (Cass. 1e civ. 28-10-1991 : JCP N 1993.II.139, 1e espèce note Legeais) ;

  • peut être utile pour résoudre une contestation, par exemple pour vérifier l’existence du vice du consentement invoqué (Cass. civ. 23-7-1979 : D. 1979. IR.547) ;

  • peut rendre opposable des conditions générales au signataire d’un acte qui mentionnait au recto, au-dessus de la signature, qu’il reconnaissait avoir lu et approuvé les stipulations du verso ( Cass. 1 e civ. 21-11-1995, JCP 1996.IV.68 ) ;

  • peut valoir commencement de preuve par écrit (Cass. com. 1-10-2002 : RJDA 1/03 n° 73 ; C. cass. 1e civ. 26-11-2002 n° 99-21.562 : Bull. civ.n° 285) ; mais ne vaut pas commencement de preuve par écrit la seule mention « lu et approuvé » apposée par la caution (Cass. 1e civ. 31-10-1989 no 1317 : BRDA 1/90 p. 14) ;

  • peut servir pour valider un acte confirmatif suppléant la mention manuscrite requise pour valoir cautionnement (CA Rouen 18-10-1989, Sénégal c/ CRCAM de Haute-Normandie ; dans le même sens, CA Versailles 11-5-1999 : JCP E 2000.pan.296) ; mais la caution qui a porté sous la rubrique « caution », la mention « lu et approuvé » au-dessus de sa signature, apposée sur un contrat de bail dont elle garantissait les obligations, bien que ce contrat contînt un article concernant la caution indiquant le nom de celle-ci et son adresse, car la mention « lu et approuvé » ne suffisait pas à répondre aux exigences requises par l’ex-article 1326 (devenu 1376 du Code civil) du Code civil sur la mention manuscrite (Cass. 1e civ. 28-10-1991 JCP N 1993.II.139, 1e espèce, note D. Legeais).

4. Il est aussi jugé dans le même sens que le « Bon pour » :

  • peut servir à lever une contestation sur l’existence du consentement à une proposition dès lors qu’il y a été répondu par la formule « Bon pour acceptation de la proposition » (Cass. 3e civ. 6 mai 2003 n° 571 FD : RJDA 8-9/03 n° 822) ou « Bon pour accord » (Cass. 3e civ. 29-9-2016 no 14-26.674 FD) ;

  • le consentement du conjoint à un cautionnement est valablement donné même s’il n’est pas exprimé par une mention manuscrite de la somme garantie en lettres et en chiffres (Cass. 1e civ. 9-7-2014 no 13-16.070 : RJDA 2/15 no 139), la mention manuscrite et signée « bon pour consentement aux engagements ci-dessus » suffisant (Cass. civ. 4-6-19961130 P : RJDA 1/97 no 93) ;

  • peut valoir commencement de preuve par écrit de l’engagement d’une caution qui l’a portée sur un document contractuel (Cass. 1e civ. 9 décembre 1997 : RJDA 4/98 n° 510 ; CA Dijon 28-5-1998 : Bull. inf. C. cass. 1999 no 142) ;

5. La seconde source d’étonnement est dans la portée de la clause voulant couvrir tout le champ des possibles par laquelle, notamment, une épouse a cautionné les dettes de son mari auprès d’une banque, «à quelque titre que ce soit et pour quelque cause que ce soit».

Des juges ont considéré qu’en dépit des termes clairs de la formule qui conduisent à placer sous la garantie toutes les causes pour lesquelles le mari pourrait être tenu pour débiteur, le cautionnement de cette épouse ne s’étendait pas à la création frauduleuse, constitutive du délit d’escroquerie, des faits de complaisance avec le concours nécessaire du préposé de la banque, au motif que les obligations par lesquelles une femme mariée a donné son cautionnement ne peuvent être que les obligations contractuelles acceptées par son mari et normalement prévisibles au moment de son engagement, écartant de la garantie les dettes délictuelles du mari (CA Bordeaux 2-12-1969, GP 1974.som.39 ; CA Paris, 15e ch. B, 19-5-2005 n° 04-09897 : GP 2006.som.15/16 mars obs. H. Vray), faute d’avoir expressément compris ces dernières dans l’assiette du cautionnement, la garantie ayant été donnée à l’occasion de relations contractuelles normales et pour le dénouement de celles-ci (CA Paris 4-4-1995).

Barthélemy MERCADAL
Agrégé des Facultés de droit
Professeur émérite du Conservatoire National des Arts et Métiers
Ancien Secrétaire général de l’IDEF