Dans l’arrêt Loper, rendu le 28 juin 2024, la Cour Suprême américaine a mis fin à la jurisprudence Chevron. Six juges ont voté pour cette solution et trois contres.
Dans l’arrêt Chevron rendu en 1984, la Cour Suprême, composée alors différemment, avait jugé que les tribunaux doivent, lorsque les lois sont ambiguës, respecter les interprétations données par les agences fédérales. Plus précisément, cet arrêt avait instauré un processus en deux étapes pour valider les interprétations des agences fédérales. Les tribunaux doivent, dans un premier temps, déterminer si la loi votée par le Congrès américain est claire. Dans l’affirmative, l’intention du législateur doit être respectée. En revanche, si la loi est ambiguë, les tribunaux doivent se ranger à l’interprétation de l’agence fédérale en charge de son application, dans la mesure toutefois où cette interprétation est raisonnable.
Dans l’arrêt Loper, la Cour Suprême rappelle que l’article III de la Constitution américaine confère aux juges le pouvoir de trancher les litiges. Elle estime donc qu’en leur imposant de respecter l’interprétation des agences fédérales, la jurisprudence Chevron retire aux juges une partie de leurs prérogatives. Elle explique que les pères fondateurs, qui avaient conscience que les lois ne seraient pas toujours claires, estimaient que leur interprétation finale relevait du domaine propre et particulier des juges. En 1803, dans l’arrêt Marbury v. Madison la Cour Suprême expliquait qu’il appartient aux juges de déterminer le sens de la loi.
La Cour Suprême américaine se fonde également sur la loi relative aux procédures administratives (Administrative Procedure Act) qui encadre l’action des agences fédérales. Cette dernière ne prévoyant pas que les juges doivent se conformer aux interprétations des agences fédérales, ils doivent exercer leur pouvoir d’interprétation et vérifier que les agences agissent dans les limites de leurs attributions. En conséquence, les juges ne peuvent pas se contenter d’accepter l’interprétation des agences fédérales, y compris lorsque la loi est ambiguë. La Cour Suprême reconnait que les juges ont, avant même la jurisprudence Chevron, accordé une grande importance aux interprétations des agences fédérale. Dans un arrêt United States v. Moore de 1877, la Cour Suprême jugeait qu’une considération particulière doit être accordée aux interprétations données par le pouvoir exécutif car ses agents sont généralement des experts du sujet. Toutefois, ce respect du travail des agences n’autorise pas une déférence automatique car cela reviendrait à limiter la séparation des pouvoirs et à affaiblir le rôle des juges. En conséquence, la Cour Suprême américaine considère que la jurisprudence Chevron, en exigeant des juges qu'ils renoncent à leur pouvoir d’appréciation, violait la loi relative aux procédures administratives.
Ce revirement aura des impacts concrets et immédiats. En effet, des acteurs, notamment économiques, vont saisir les tribunaux afin de tenter de remettre en cause des règles qui leur sont défavorables. Par ailleurs, l’arrêt Loper va permettre à chaque juge d’avoir sa propre interprétation des attributions conférées aux agences fédérales et donc des règles qu’elles peuvent ou non élaborer La Cour Suprême américaine sera donc probablement saisie régulièrement en raison d’interprétations divergences entre les différentes Cours d’appels fédérales. En effet, certaines sont très libérales, comme la Cour d’appel du cinquième circuit (Texas), et d’autres sont plus protectrices, notamment des consommateurs ou des salariés. Toutefois, la Cour Suprême n’acceptant qu’une soixantaine de litiges par an, les divergences risques de perdurer.
Décembre 2024