Le premier août dernier, un juge fédéral américain a annulé le verdict d’un jury qui avait condamné la ligue nationale de football américain (National Football League (NFL)) à payer 4,7 milliards de dollars de dommages-intérêts pour pratiques anticoncurrentielles. En vertu de la loi Clayton (Clayton Act) codifié à la section 15 du chapitre 1 du titre 15 du Code des Etats-Unis, les dommages-intérêts octroyés par le jury auraient pu être triplés pour atteindre potentiellement près de 14 milliards de dollars. La décision fait suite à une action collective intentée par des abonnés du service Sunday Ticket proposé exclusivement par Direct TV. Ce service permet aux abonnés de regarder en direct les matchs qui ne sont pas disponibles sur les chaînes régionales. En raison de l’exclusivité accordé à Direct TV, les plaignants alléguaient que la ligue nationale de football américain pratiquait des prix artificiellement gonflés.
En 1946, la Cour Suprême des Etats-Unis a jugé qu’un jury peut allouer des dommages-intérêts même si leur montant ne peut pas être déterminé avec exactitude, sous réserve que le jury se fonde sur des données pertinente et fasse une estimation juste et raisonnable (Bigelow v. RKO Radio Pictures, Inc). Or en l’espèce, le juge a estimé que l’évaluation des dommages-intérêts par le jury reposait sur des conjectures et non sur des preuves économiques solides. Il reproche également au jury de ne pas avoir suivi ses instructions sur la manière dont les dommages-intérêts devaient être calculés. Il leur avait en effet précisé que le montant des dommages-intérêts devaient être déterminé en calculant la différence entre le prix que les demandeurs avaient effectivement payés pour le Sunday Tickets et le prix que les demandeurs auraient dus payer s’il n’y avait pas eu d’accord entre la ligue nationale de football et DirectTV. Malgré ces instructions, le jury s’est fondé sur les méthodes développées par les experts des demandeurs. Or, le juge a estimé que ces méthodes reposaient uniquement sur leur avis personnel (ipse dixit opinion) et non sur une analyse économique rigoureuse. En conséquence, ces témoignages ne respectaient pas les règles de preuve. En effet, selon l’article 702 du droit fédéral de la preuve, les juges doivent s’assurer que les témoignages des experts reposent sur une base fiable et pertinente.
Le montant des dommages-accordés par le jury étant excessif (Montgomery Ward &Co. v. Duncan, 311 U.S. 243, 251 (1940)) et les preuves permettant de le justifier étant insuffisantes (Molski v.M.J. Cable, Inc., 481 F.3d 724, 729 (9th Cir. 2007)) le juge a logiquement cassé la décision du jury. Toutefois, si le juge a annulé le verdict, il a estimé que le jury pouvait raisonnablement conclure à l’existence de pratiques anticoncurrentielles par la ligue nationale de football et la société DirectTV. Malgré cette conclusion, il n’a pas ordonné un nouveau procès. Début septembre, les avocats des plaignants ont donc fait appel.
Il est rare qu’un juge annule les dommages-intérêts accordés par un jury. En effet, ainsi que l’explique des juges fédéraux dans un arrêt de 2006, en principe la décision d’un jury en matière de dommages-intérêts bénéficie d’une présomption de validité, sauf si le montant accordé repose uniquement sur des spéculations ou des conjectures (In re First All. Mortg. Co., 471 F.3d 977, 1001 (9th Cir. 2006)), ce qu’a conclu le juge en l’espèce.
Février 2025