Dans la décision Corner Post, Inc. v. Board of Governors of the Federal Reserve System (600 U.S. 2024), la Cour suprême des États-Unis s’est prononcée sur la question du point de départ du délai de prescription applicable aux actions en justice intentées contre des règlements administratifs. Plus précisément, l’affaire portait sur le point de départ de la prescription de six ans prévue par la loi sur la procédure administrative (Administrative Procedure Act).
En l’espèce, une entreprise contestait les frais d’interchange qu’elle devait payer aux banques pour chaque transaction effectuée par carte bancaire. En 2010, le Congrès américain a imposé à la Réserve fédérale de fixer des règles garantissant que ces frais sont raisonnables et proportionnés aux coûts encourus par les banques. En application de cette disposition, la Réserve fédérale américaine a adopté en 2011 le Règlement II qui plafonne les frais bancaires à 0,21$ par transaction plus 0,05 % de la valeur de la transaction. L’entreprise à l’origine du recours, fondée en 2018, a contesté ce règlement en 2021. Elle estimait que celui-ci violait une loi de 2010 (Durbin Amendment) en autorisant les banques à réclamer des frais excessifs.
La Cour d’appel a toutefois jugé son action irrecevable au motif qu’elle était prescrite. Elle estimait en effet que le délai de six ans avait expiré en 2017, soit avant que la création de l’entreprise demanderesse. Selon la Cour d’appel, le délai de prescription commençait à courir dès la publication du règlement administratif, soit en 2011. La Cour suprême a adopté une interprétation différente en considérant que le délai de prescription ne pouvait commencer à courir qu’au moment où le demandeur subit un préjudice du fait du règlement contesté.
L’enjeu du litige portait sur l’interprétation de l’expression « a pris naissance » (first accrues) figurant à l’article 2401(a) du code des Etats-Unis (28 U.S.C. § 2401(a)). Ce texte dispose qu’une action intentée contre les États-Unis est irrecevable si la demande n'est pas déposée dans un délai de six ans à compter de la date à laquelle le droit d'action a pris naissance (civil actions against the United States “shall be barred unless the complaint is filed within six years after the right of action first accrues”). La Cour suprême a retenu une interprétation restrictive de cette expression en considérant qu’un droit d’agir ne peut être considéré comme « né » que lorsqu’il est actuel et effectif, c'est-à-dire lorsque le demandeur est en mesure de saisir une juridiction pour obtenir réparation.
Pour expliquer son raisonnement, la Cour suprême américaine cite notamment les décisions Green v. Brennan (2016) et Gabelli v. SEC (2013) qui établissent que la prescription ne commence à courir que lorsque le demandeur dispose d’un droit d’action lui permettant de saisir un tribunal. La Cour rappelle également que l’expression « a pris naissance » avait, dès son adoption, une signification bien établie, désignant le moment où un droit peut être invoqué devant un tribunal. Elle précise que cette définition, confirmée par la jurisprudence et les dictionnaires juridiques contemporains, implique que la prescription ne court pas tant que le demandeur n’a pas subi un préjudice lui permettant de saisir une juridiction. La Cour rejette donc la thèse selon laquelle la prescription pourrait débuter avant que le demandeur ne soit en mesure d’agir, jugeant une telle interprétation contraire aux principes fondamentaux de la prescription
Août 2025